La république des moutons présidents

16 octobre 2013

La république des moutons présidents

Les moutons présidentiels ont fait parler d’eux lors de cette fête de l’aïd el kebir (Tabaski) cette année à Garoua. Une fête célébrée sur fond de vie chère. Echos du shabba en mode Tabaski.

La république des moutons présidents
La république des moutons présidents

« Il a 4 ans, il vaut 240.000f et on l’a baptisé Popol, c’est le président de tous ses moutons», me lance fièrement Alioum Mohaman, vendeur au marché du bétail de Garoua. Un mouton président ! Pur Bantou largué en plein Sahel, j’étais loin de me douter que je n’étais  qu’au début de mes surprises. Car comme Popol j’allais découvrir plus tard qu’il existe de nombreux moutons présidentiables au Cameroun. Tels des hommes politiques pendant la campagne électorale, ces moutons imposants pour la plus part, profitaient alors de la Tabaski pour faire leur one man show, puisqu’ils deviennent d’office le centre de toutes les attentions. Leur palais, le marché du bétail. Dans ce marché situé sur les berges du fleuve Bénoué, jusqu’à tard dans la soirée du lundi 14 octobre 2013, l’heure était encore aux négociations, très houleuses, entre les vendeurs et les fidèles musulmans qui voulaient absolument avoir un mouton pour l’immoler le jour de la fête après la prière rituelle, comme le prescrit le dogme musulman.  Ceux qui n’ont donc pas encore acheté leur mouton font des pieds et des mains pour l’avoir avant le jour j car, apprend-t-on chez les marchands de bétail, la règle est qu’au fur et à mesure qu’on se rapproche de la fête, les prix explosent.

Sourire aux lèvres, Abdoulaye, jeune démarcheur, se rapproche de moi et me présente Barack Obama. Un costaud bélier aussi haut qu’une tour et qui visiblement n’était pas à la portée de la première bourse. « 150 000F ou rien. C’est mon dernier prix, et de toute façon mon mouton ne pourrira pas ». J’étais certes un peu scandalisé, mais curieux tout de même se savoir comment fonctionne ce milieu. A peine ai-je eu le temps d’échanger avec Abdoulaye qu’un client, donc le boubou grassement amidonné et le parfum qui prenait en otage vos narines après son passage trahissaient son aisance matérielle, s’approcha et pointa du doigt Obama.  Une très courte discussion s’en suivi et quelques minutes plus tard c’est derrière le coffre d’une luxueuse Toyota Rave 4 que le mouton Obama élu domicile. Lorsque nos regards se croisèrent je lu comme de la tristesse dans ses yeux, même si intérieurement je me disais qu’il devait être particulièrement appétissant une fois immolé et assaisonné ! Décider à rencontrer tous les moutons président du marché, je fis par la suite la rencontre de Laurent Gbagbo, un bélier de taille moyenne, engraissé durant quatre mois et qui valait 85000f. Son propriétaire m’expliqua qu’il était un fan de l’ancien président ivoirien et qu’en solidarité à ce dernier, il a baptisé un mouton en son honneur. Après cette rencontre je décidais mettre un terme à mon investigation, car à cette allure je risquais tomber sur Mère Thérésa…. version mouton bien évidement !

Le prix d’une bête est fixé sur la base de certains critères tels que la taille, le poids, l’âge et l’apparence de la bête. Par exemple, si le mouton est bien entretenu et bien engraissé, son prix est loin d’être à la portée du premier venu. Selon le Coran, le mouton à sacrifier doit avoir plus d’un an, ne doit avoir aucune lésion corporelle ni de membre fracturé ou de corne cassée. Malgré les prix excessifs, les fidèles résignés avouent ne pas trop avoir le choix, afin de fêter dignement la Tabaski. Certains confient qu’ils iront voir dans le réseau des « moutons d’occasion » pour avoir un mouton de « seconde main » le jour même de la fête.

Mardi 15 octobre, jour de fête et d’effervescence populaire…

La journée a débutée par la traditionnelle prière présidée par sa majesté le Lamido de Garoua, Alim Hayatou,  à 8h à la grande mosquée située au quartier Marouaré. Un prêche du Lamido aux fidèles rassemblés en ce jour de fête et de piété est venu clore la séance de prière.

Après celle-ci, les fidèles sont allés chacun procéder à l’immolation de leur mouton. Qu’est-il advenu de Popol, Obama, Gbagbo ? Probablement au fond d’une marmite voir même déjà au fond de l’estomac de leurs acquéreurs. Pathétique quand même lorsque je deviens sentimental. Vite, tournons la page, le Diable passe….

Dans les rues de la ville ce mardi, c’était un véritable défilé de mode. Les différents modèles de boubous et autres tenues arborés par les fêtards trahissaient les nuits blanches accusées par les tailleurs pour donner vie à ces chefs d’œuvres.  Cette journée festive s’acheva par un concert géant de l’artiste Babba Sadou en présence d’une foule nombreuse à l’Alliance Française de Garoua. Belles mélodies sahéliennes, coups de rein électriques des danseuses et ambiance …étaient au menu de cet évènement qui m’a régalé de curiosité sur les habitudes de mes compatriotes sahéliens. Mais réservons cela pour nos prochains échos du shabba. En attendant, le mouton a été immolé, vive le mouton !


 

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Commentaires

Amadou Sanda
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Je suis mort de riiiiire! des mouton présidents...franchement je voyais pas les choses sous cet angle. drôle mais véridique en plus. Fils de Garoua, cette peinture de ma ville à travers ses moutons me rend nostalgique. vivement les prochains échos

Gustavo
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La tonalité est lyrique mais c'est ce qui est le qutidien de toutes les populations des villes moyennes comme Garoua où très peu de nantis cumulent l'entiereté du pouvoir d'achat tandis que les 95p100 de la population doivent faire des grands sacrifices pour pouvoir s'offrir un mouton pendant cette fête du sacrifice. Il y'a de quoi appeler ces moutons Popol, Obama ou Obiang!