Cameroun – Touroua: sur les traces des déplacés internes de Boko Haram

Article : Cameroun – Touroua: sur les traces des déplacés internes de Boko Haram
Crédit:
13 octobre 2017

Cameroun – Touroua: sur les traces des déplacés internes de Boko Haram

Les exactions de Boko Haram ont contraint des habitants des villages de l’Extrême-Nord à fuir vers l’arrondissement de Touroua, dans la région du Nord Cameroun.

Refugiés au camp de Minawao. © Reinnier KAZE / AFP
Refugiés au camp de Minawao. © Reinnier KAZE / AFP

Les attaques de la secte terroriste Boko Haram ne causent pas que des morts, des dégâts matériels ou encore des blessés. Ces attentats et autres incursions meurtrières dans les localités de la région de l’Extrême-Nord contraignent aussi et surtout de nombreuses populations à se déplacer vers des zones moins conflictogènes. Selon des estimations récentes, ce sont près  de 200.000 Camerounais de la région de l’Extrême-Nord qui ont fui leurs villages, situés à la frontière du Nigeria, redoutant les exactions de Boko Haram. Certains ont trouvé refuge dans des camps aménagés pour accueillir des personnes déplacées internes (PDI) tandis que les plus téméraires ont décidé de se laisser entraîner par l’espoir, en quête d’une vie nouvelle, loin de la terre de leurs ancêtres et de leurs villages, pillés et brulés par Boko Haram.

C’est le cas de Bouzara Hahad, Camerounais de 28 ans, originaire du village Mawa dans l’arrondissement de Koza. « Ce sont les exactions de Boko Haram, dans l’arrondissement de Mayo Moskota, voisin à mon village, qui m’ont poussé à partir. Je me suis dit que tôt au tard mon village allait aussi subir la furie dévastatrice et meurtrière des membres de Boko Haram, qui sont sans pitié car ils tuent, incendient des villages entiers, pillent et volent du bétail. C’est la peur au ventre que j’ai décidé, en mars 2013, d’abandonner mon village pour prendre la route de l’exil et me retrouver aujourd’hui à Hinga, à des milliers de kilomètres de mon village natal», témoigne, encore bouleversé, Bouzara Hahad.

Terrifié par les atrocités, Bouzara Hahad n’envisage pas de retourner à Mawa. « Je ne peux plus retourner à Mawa car désormais chez moi c’est ici, Boko Haram en a décidé ainsi pour nous les déplacés.  En plus, dans mon village, si tu n’as pas au moins deux hectares de terre cultivable, tu ne peux pas subvenir à tes besoins et encore moins à ceux de ta famille. Boko Haram a enlevé ma cousine en 2014 et, depuis lors, nous n’avons plus de ses nouvelles. Est-elle devenue une kamikaze ou épouse d’un membre de Boko Haram ? Est-elle décédée ? Dieu seul sait. Malgré la souffrance je suis contraint de demeurer à Hinga », explique le jeune-homme résigné.

Bouzara Hahad, déplacé interne vivant à Touroua. © Ebah Essongue Shabba
Bouzara Hahad, déplacé interne vivant à Hinga. © Ebah Essongue Shabba

Depuis 4 ans déjà, Bouzara Hahad vit à Hinga, un village situé dans l’arrondissement de Touroua, à des kilomètres de Garoua, la capitale de la région du Nord Cameroun. Il a abandonné ses études en classe de première, faute de moyens financiers, et il s’est reconverti dans l’agriculture. Marié et père d’un enfant, Bouzara Hadad vit grâce aux revenus qu’il tire de son exploitation agricole et de l’assistance du Codas Caritas, le comité diocésain de développement des activités sociales de l’archidiocèse de Garoua, à travers son programme « Justice et Paix ».

Badina Emmanuel, déplacé interne vivant à Banda. © Ebah Essongue Shabba
Badina Emmanuel, déplacé interne vivant à Banda. © Ebah Essongue Shabba

Badina Emmanuel est également un déplacé interne. Le jeune de 19 ans est originaire de Moskota, dans le département du Mayo Sava. Cependant, Badina résidait à d’Achigachia, un village de l’Extrême-Nord du Cameroun, frontalier du Nigeria et cible de plusieurs assauts des islamistes nigérians. Face à la récurrence des attaques du groupe, Badina Emmanuel retourne vivre à Moskota, avant de finalement se résoudre à fuir loin de cette zone à risques. C’est ainsi qu’en 2015 il dépose ses valises à Banda, un village enclavé de Touroua.

« J’ai eu raison de fuir car le jeudi 17 août 2017, Boko Haram a attaqué mon quartier, où vivent mes parents. Ils ont brûlé des maisons et j’y ai perdu tous les biens que j’avais laissés au village. Lors de cette sanglante attaque, ils ont tué mon voisin et ils ont enlevé ses six enfants devant leur mère impuissante. Comme si cela ne suffisait pas, quelques jours plus tard (le mercredi 6 septembre 2017, ndlr), ils ont attaqués le village voisin de Dzaba où ils ont incendié 46 cases, tués 3 personnes et enlevé 8 personnes », raconte Badina Emmanuel, horrifié par ses atrocités. « Je suis traumatisé, j’ai vu beaucoup des morts, je veux tourner la page », ajoute-t-il.

Fuyant l’horreur, ils sont des centaines de déplacés à avoir trouvé refuge dans l’arrondissement de Touroua. Ils ont bénéficié de l’assistance des autorités traditionnelles à leur arrivée dans chaque village. « A notre arrivée nous avons été accueillis par le chef de village qui nous a aussitôt donné des parcelles cultivables et nous avons aussi reçu l’aide alimentaire des âmes de bonne volonté par l’entremise du Codas Caritas », explique Bouzara Hahad, qui se plaint cependant de l’accès difficile à l’eau potable, ce qui expose les populations aux maladies hydriques.

« Une fois que les déplacés ont été identifiés par les autorités, nous prenons alors le relais en nous approchant d’eux pour leur apporter notre soutien psychologique et alimentaire. Nous faisons appel à la générosité des fidèles paroissiens,  auprès de qui on collecte de la nourriture, que nous leur distribuons ensuite », explique Haman Moïse, délégué paroissial « Justice et Paix » de Codas Caritas.

La cohabitation entre les personnes déplacées et les autochtones n’est pas toujours chose facile, en témoignent les tensions et autres conflits avec les éleveurs générés après l’arrivée des déplacés. « Il n’y a que le dialogue dans ce cas de figure. Celui-ci est mené par le comité local de règlement des conflits agro-pastoraux », explique Haman Moïse. Une méthode payante qui, jusqu’ici, permet de garantir la paix, la cohésion sociale et permet l’intégration des déplacés internes au sein de leur nouvelle communauté.

« S’intégrer en travaillant peut aider à contrer Boko Haram car ceux qui ne font rien vont grossier les rangs de Boko Haram qui les paye à coup de million pour mener des attaques terroristes et venir tuer leurs parents et leurs frères. A l’Extrême-Nord nous avons vu nos propres frères venir commettre des attaques, égorgés des populations et commettre des attentats suicides », témoigne Bouzara Hahad.

 

Partagez

Commentaires